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Akai ito
livre 1

couverture - Copie_edited.jpg

Chapitre 34

- Allez, tiens encore un peu, fit Kyosuke. Et ne te courbe pas !

Megumi pesta en s'efforçant de reprendre la bonne position.

Elle ne tenait plus, elle n'avait plus de force.

Kyosuke la forçait à garder la position de la planche depuis si longtemps qu'elle s'étonnait de ne pas voir la nuit tomber.

Ses avant-bras et ses orteils devenaient raides, elle transpirait à grosses gouttes...

- Allez, tête brûlée ! l'encouragea Daisuke de loin, en supervisant l'entraînement des plus jeunes. Ne lâche rien !

- Tss... pesta-t-elle.

Pourquoi devait-elle endurer tout cela ?

Elle était censée apprendre à manier une arme, mais voilà plusieurs jours que Kyosuke la forçait à ne réaliser que des exercices de renforcements musculaire.

« Je n'ai pas signé pour faire du sport, moi ! J'ai horreur de ça... »

- Ton corps se courbe encore, Megumi ! Redresse-toi !

- Purée !! Gronda-t-elle à bout de force.

- Kyosuke, n'est-ce pas un peu extrême ?

La voix d'Eisuke lui fit soudain louper un battement.

Depuis combien de temps était-il là ?

- Raah ! Je sais ce que je fais ! Arrêtez tous de venir me dire ce que j'ai à faire ! On ne sait pas sur quoi elle peut tomber en travaillant, alors je dois vite la rendre plus forte que n'importe lequel d'entre nous !

Sa voix grondait de détermination et Megumi commença à regretter de lui avoir demandé de lui donner des cours.

Elle voulait juste apprendre à manier les armes, pour le fun, et non pour devenir championne olympique.

- Certes, fit patiemment Eisuke. Mais n'oublie pas que c'est une femme, et que tu dois la ménager.

- La ménager ? S'indigna Kyosuke. Je ne vais pas l'insulter en la ménageant, tout de même ! Ce serait un manque total de respect ! Ha ha ! Hein, Megumi ? Tu l'entends celui-là ? Ricana-t-il. Il veut que je te ménage !

- Oui, ménage-moi, pour l'amour du ciel ! Râla-t-elle à sa grande surprise.

 

Au bout de quelques minutes d'exercices supplémentaires, Megumi resta allongée sur le sol pendant un bon moment, à fixer le ciel, totalement vidée...

Voilà des jours qu'elle subissait des séances de sport intensives, et que ses courbatures la réveillaient la nuit.

Elle était complètement épuisée.

- Tiens, bois un peu... fit Eisuke en s'accroupissant devant elle, un sourire doux sur les lèvres.

Megumi se redressa difficilement et avala le contenu de la gourde avec soulagement tandis qu'il la couvait avec tendresse.

Beaucoup trop de tendresse !

Elle lui sourit timidement en lui faisant signe d'arrêter.

- Ne me regarde pas de cette manière, chuchota-t-elle discrètement. Ils vont comprendre...

- Personne ne nous regarde...

Elle chercha discrètement Kyosuke du regard et réalisa qu'il profitait de sa pause pour discuter avec Daisuke un peu plus loin.

Ils se chamaillaient manifestement au sujet de leur façon d'enseigner, et chacun restait campé sur ses positions.

Megumi pouffa de rire et chercha de nouveau le regard d'Eisuke. Depuis qu'ils avaient décidé de se mettre ensemble, ils n'avaient guère eu beaucoup de moments pour se retrouver tous les deux, mais Eisuke ne ratait jamais une occasion de lui presser discrètement la main, ou de lui sourire lorsque personne ne les regardait.

Seul Hayate était au courant, et étrangement, il ne semblait pas en avoir parlé à qui que ce soit.

Celui-ci se faisait d'ailleurs de plus en plus rare.

Lorsqu'elle le croisait, il ne la saluait pas, il ne lui disait rien non plus, se contentant de la toiser du coin de l'œil d'un air moqueur...

La menace de la nuit qu'ils avaient passée ensemble planait toujours, et elle avait cette horrible impression de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Elle avait envie de croire qu'il ne dirait rien, mais il ne s'était pas gêné pour lui révéler qu'ils avaient couché ensemble, alors elle ne se faisait guère d'illusion.

La meilleure chose à faire était de tout lui dire elle-même, mais elle n'en avait pas le courage...

Passer la nuit dans le lit d'un homme et se mettre en couple avec un autre dans la même journée...

Vu de l'extérieur, elle avait l'air d'une vraie gourgandine.

« Je suis vraiment passée de l'un à l'autre, je fais n'importe quoi... » se dit-elle, furieuse contre elle-même.

- Je crois qu'ils vont se disputer pendant encore un bon moment, s'amusa Eisuke.

Megumi sortit de ses pensées et se tourna vers les deux frères qui se hurlaient dessus tandis que Kenji et les jeunes recrues tentaient tant bien que mal de les séparer.

Ils étaient à deux doigts de se taper dessus.

- Ha ha, effectivement...

Elle chercha de nouveau Eisuke des yeux et son cœur s'affola en croisant son regard affectueux.

Elle rougit et baissa timidement la tête.

- Tu es en congé demain, n'est-ce-pas ? Demanda-t-il à voix basse.

- Ah ? Oui, mais seulement pour une journée...

Il jeta un rapide regard vers les autres avant de lui chuchoter discrètement :

- Je vais m'occuper du jardin jusqu'à la tombée de la nuit. Si tu n'es pas trop fatiguée, et si le cœur t'en dit... N'hésite pas à me rejoindre.

Il pressa sa main dans la sienne tandis que Megumi rougissait comme une pivoine.

Puis il se releva et elle le regarda partir en se mordillant timidement la lèvre.

Ces derniers jours, elle n'avait fait que travailler, s'entraîner et s'écrouler de fatigue sans dîner, alors elle n'avait plus eu l'occasion de le regarder s'occuper des jardins depuis un moment.

Elle sourit, émoustillée par la perspective de ce petit rendez-vous secret et s'empressa de reprendre un visage neutre lorsque Kyosuke revint soudainement vers elle en tapant des pieds avec colère, tandis que Daisuke le suivait de son regard colérique.

- Bref, ça ira pour aujourd'hui, on va passer aux étirements, marmonna-t-il.

Megumi pouffa de rire tandis qu'il s'accroupissait derrière elle.

- Que s'est-il passé ? S'amusa-t-elle en écartant les jambes.

Kyosuke l'aida à s'étirer en poussant progressivement son dos vers l'avant.

- C'est lui qui m'a énervé avec son air de « Monsieur je sais tout » là ! Il a tendance à oublier que c'est moi l'aîné ! Il me doit le respect !

- Eh bien... Sans vouloir te vexer, c'est vrai que si tu ne me le rappelles pas, j'ai tendance à oublier moi-même, que c'est toi le plus âgé des deux...

- Toi aussi, tu t'y mets ?! S'énerva-t-il, la faisant rire aux éclats.

Enfin, lorsqu'elle termina la séance d'étirement, Megumi s'empressa de prendre un bain frais pour se libérer de toute la sueur et la crasse qu'elle avait accumulées dans la journée, puis elle enfila une tenue simple, se coiffa, et se pinça les joues pour se donner des couleurs.

Une fois prête, elle passa devant le miroir pour une dernière vérification, puis, elle sortit par la porte extérieure et partit à la recherche d'Eisuke en traversant le gigantesque jardin.

Elle le trouva au bout de quelques minutes alors qu'il était occupé à arroser de grandes fleurs blanches richement parfumées.

Le vice-commandant était totalement dans son élément au milieu de ce gigantesque jardin.

Son visage apaisé, ses longs cheveux noués en une fine queue de cheval basse, ses gestes fluides et doux...

Le tableau avait quelque chose d'irréel. Presque féérique.

Aussitôt, la jeune femme se sentit intimidée. Elle joignit ses mains devant elle et s'avança dans sa direction, le cœur battant délicieusement contre sa poitrine.

Le soleil commençait manifestement à se coucher.

Le ciel se striait de rose, et les ombres s'allongeaient sur le sol.

Lorsqu'il l'entendit s'approcher, il se tourna vers elle et lui sourit en se débarrassant de ses gants.

- Je suis heureux que tu sois venue... dit-il en lui prenant doucement les mains. Pardon de t'avoir demandé de venir alors que tu es si fatiguée...

- Ne t'inquiète pas, je crois que je commence à prendre le rythme, le rassura-t-elle. D'ici quelques temps, je serais complètement habituée.

Le visage grave, il baissa les yeux vers ses mains en les caressant.

- N'en fais pas trop, tout de même... Je me fais du souci.

Elle leva les yeux vers les siens et lui sourit d'un air attendri.

Le Eisuke qu'elle avait devant les yeux et celui qu'il montrait aux autres étaient totalement différents, et elle adorait cette facette-là de sa personnalité.

Il était si adorable...

Son regard se leva de nouveau vers elle, puis il porta sa main à ses lèvres et son pouls s'accéléra.

« Bon sang, quand il me traite comme une princesse, je fonds sur place ! »

- Megumi... À chaque fois que je m'apprête à te retrouver, je suis déterminé. Je me prépare à te faire la cour comme il faut, à te séduire, à te réciter des poèmes... Mais lorsque je me retrouve devant toi, je me perds et je ne pense qu'à t'embrasser.

Il baissa ses yeux fiévreux vers ses lèvres et Megumi sentit son cœur se réchauffer en apercevant une lueur de désir dans ses yeux.

- Je t'en prie, dis-moi que je me conduis mal, afin que je retrouve mes esprits... lui demanda-t-il.

Megumi pouffa de rire et s'avança vers lui, le regard brûlant.

- Je me fiche de tes poèmes... chuchota-t-elle en appuyant ses lèvres contre les siennes.

Eisuke se figea comme un arc, visiblement surpris, puis, il l'enlaça et répondit à son baiser en retenant son souffle.

Au début, le baiser fut doux et chaste, mais Megumi sentit le vice-commandant s'enflammer rapidement. Il la pressa contre lui avec force, mais tout en se contenant, visiblement toujours soucieux à l'idée de lui faire mal.

Elle répondit à son étreinte et retint son souffle lorsque sa main caressa doucement ses cheveux.

Mortifiée, elle se surprit à penser à Hayate. Elle le revoyait à demi-nu, dans sa chambre, les cheveux dégoulinants, son regard froid et arrogant braqué sur elle...

« Dégage ! »

Elle entrouvrit les yeux pour se recentrer sur Eisuke et s'accrocha fébrilement à son haut, soudainement partagée entre l'envie d'aller plus loin et le besoin de prendre son temps.

Si elle avait du mal à l’effacer de sa tête, c’était peut-être parce qu’il était le seul homme qu’elle avait intimement connu…

« Si je me laissais aller à coucher avec Eisuke, je ne suis pas certaine que ce serait pour les bonnes raisons... »

Mais elle voulait tant faire disparaître Hayate de son esprit...

Que devait-elle faire ?

Soudain, Eisuke tressaillit et mit un terme à son baiser, la laissant pantelante.

Le vice-commandant la dévisagea pendant quelques secondes, puis il baissa les yeux.

- Pardon... Je me conduis comme un animal, souffla-t-il en la relâchant.

Megumi faillit éclater de rire tant sa définition de « se conduire comme un animal » était bien différente de la sienne.

Il était au contraire l'homme le plus respectueux et le plus doux qu'elle n'avait jamais rencontré.

Cela en devenait même frustrant...

Elle s'empressa de chasser de son esprit les images d'Hayate la pénétrant brutalement contre le sol, la main empoignant ses cheveux...

Non.

Elle ne devait plus jamais y repenser.

Elle devait oublier.

« Mets tout dans une boîte et claque bien fort le couvercle... »

« C'est du passé maintenant... »

Elle ouvrit les yeux et les releva vers Eisuke, qui lui souriait en enfilant de nouveau ses gants.

Oui. C'était lui son avenir.

- Veux-tu aller te reposer ? Ou préfères-tu me tenir compagnie pendant que je termine ? S'enquit-il.

- Je ne vais pas te regarder comme une idiote, s'amusa-t-elle. Je vais t'aider, Eisuke. Montre-moi comment faire.

 

 

* * *

 

 

- Tu sais... Tu n'es pas obligée de m'aider, fit Eisuke. Pour une fois que tu as ta matinée.

Megumi secoua la tête en souriant.

- Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle. Je me suis habituée à me lever tôt, de toute façon...

Megumi avait en effet décidé de profiter de son congé pour aider Eisuke dans ses tâches quotidiennes.

Ils étaient à présent dans le jardin, près de la porte menant au cabinet d'Eisuke.

Celui-ci préparait les plantes pour les faire sécher, tandis que Megumi se chargeait de les nettoyer.

- Je me demandais... s’enquit-elle en jetant des regards en coin vers ses mains, qui s’activaient habilement sur les plantes. Toutes ces fioles que tu prépares... Toutes ces pommades, et le reste... Ne serait-ce pas plus simple d'aller les acheter directement en ville ? Chez l'apothicaire ?

Un petit sourire passa sur son visage froid.

- Je le pourrais, en effet, mais je préfère les réaliser moi-même. Je n'aime pas dépendre du savoir des autres.

Intriguée par sa réponse, elle laissa ses mots planer entre eux avant de reprendre :

- Que veux-tu dire ? « Dépendre du savoir des autres » ?

Son sourire s'accentua.

- Tu sais, nous vivons une époque plutôt paisible, expliqua le vice-commandant. Mais la paix est fragile et temporaire. Un jour ou l’autre, l’équilibre basculera. Il en est ainsi depuis la nuit des temps...

Il noua soigneusement des tiges entre elles avant de les déposer avec soin dans un grand bol de bois.

- Si je dois connaître un tel bouleversement un jour, je voudrais être capable de protéger les miens correctement. Et en temps de crise, ne dit-on pas que l’homme le plus fiable est celui qui sait tout faire ?

Il leva un visage souriant vers la jeune femme et elle rougit en répondant timidement à son sourire.

Elle était un peu étonnée.

Eisuke pensait donc à ce genre de chose...

- Je comprends mieux pourquoi je te vois toujours si actif, répondit-elle. En tant que vice-commandant, tu pourrais être dispensé de faire certaines tâches, mais tu les accomplis pourtant toutes sans rechigner. C’est parce que tu veux savoir tout faire.

- Il n'y a pas que cela, ajouta-t-il. Je ne suis pas le roi. Je suis l'un de ses sujets, comme n'importe lequel de mes hommes. Je me vois mal les utiliser à ma guise. Le commandant agit également de la même façon. Il n'a jamais profité de sa position. Pas une seule fois. C'est un grand homme et je l'admire...

Megumi sourit, attendrie en songeant au commandant qui devait, en ce moment même, crouler sous la paperasse de la ville, qui devait être réglée avant la tombée de la nuit.

« Je devrais peut-être lui proposer mon aide, lorsque nous aurons terminé de nous occuper des plantes... »

Eisuke sembla hésiter pendant un instant, avant d'ajouter sombrement :

- Oui, je l'admire vraiment... Même si je dois admettre que je le trouve parfois bien trop clément...

Megumi sentit son cœur manquer un battement. Elle chercha son visage impassible des yeux.

L'ambiance avait gravement changé, alors elle sut instinctivement à quoi il faisait allusion.

Ou plutôt à « qui » ...

- Tu veux parler d'Hayate ? Demanda-t-elle à voix basse.

- Entre autres…

Un silence gênant s'écoula et Megumi reprit son nettoyage en se raclant la gorge, un peu mal à l'aise:

- Je suis étonnée que quelqu'un d'aussi... Désobéissant et incontrôlable que lui, soit parvenu à devenir capitaine, dit-elle d'un ton léger pour détendre l'atmosphère.

- C'était simplement une manière de faire un pas vers lui, et de lui donner une chance, fit Eisuke, la mâchoire contractée. Mais avec tout le respect que je dois au commandant, il fait totalement fausse route. Il fait beaucoup d’effort pour un homme qui se fiche totalement de tout. Hayate n’est touché par absolument rien. J'ignore même comment il peut tenir debout tant il est dépourvu de sentiment.

Megumi haussa les sourcils, un peu étonnée d'entendre Eisuke médire sur quelqu'un d'autre.

C'était la première fois.

« Je sais qu’il ne le porte pas dans son cœur, mais... »

- Je me demande même comment le commandant peut parvenir à déceler la moindre qualité chez lui, reprit-il, le regard glacial. Il n'en a aucune. Il est aussi vide et creux que le néant. Sans parler de...

- Eisuke... l'interrompit-elle soudainement.

Le vice-commandant leva un visage surpris vers elle, comme s'il ne s'était pas aperçu qu'il s'exprimait à voix haute.

Megumi l'avait coupé instinctivement. Pour une raison qui lui échappait, la moutarde lui était brusquement montée au nez.

Ce qui était assez étrange... Elle qui passait son temps à l'insulter mentalement, elle aurait plutôt pensé être ravie de se trouver un allié pour médire sur son compte.

Alors pourquoi son ventre vibrait d'indignation à ce point ?

Pourquoi devait-elle serrer les dents pour éviter de défendre Hayate ?

C'était incompréhensible.

- Tu... Ça ne te ressemble pas de médire sur les gens, Eisuke... le blâma-t-elle d'une voix plus dure qu'elle ne l'aurait voulu.

Eisuke tressaillit et fixa un point devant lui sans rien dire pendant un instant, comme s'il se repassait mentalement ses propres paroles.

Puis enfin, il soupira :

- Tu as raison...

Il secoua doucement la tête, comme lassé par sa propre bêtise.

- Pardonne-moi, je me suis laissé emporter... à cause de mes sentiments.

Il leva un regard inexpressif vers le sien et lui demanda à voix basse :

- Tu lui as parlé de nous, n'est-ce pas ?

Elle rougit et baissa les yeux vers son travail en se mordillant la lèvre.

- Oui...

- Et... Comment a-t-il réagi ?

 Et... il est au courant ? Pour cette nuit ? 

Tu ne lui as donc rien dit ? Aaah petite cachottière, c'est pas bien...

Que me donneras-tu en échange de mon silence, Megu chan ?

Ne t'inquiète pas. Pour ce genre de choses, j'ai toujours beaucoup d'imagination...

Je sens qu'on va bien se marrer, Megu chan !

- Megumi ?

Elle tressaillit et pouffa de rire pour cacher sa gêne :

- Et bien, tu le devines... Il a réagi comme si on lui volait l'un de ses jouets, mais ça lui passera.

- Il... Il ne t'a pas fait de mal ? demanda-t-il après une courte hésitation.

- Non, ne t'inquiète pas. Et depuis, je l'ai à peine croisé, alors... Je pense qu'il est déjà passé à autre chose.

- Je suppose, marmonna-t-il.

Il hésita pendant une seconde avant de reprendre :

- Le commandant a dû se rendre en ville pour régler un différend, très tôt ce matin. Encore une fois, par sa faute.

- Hein ? Ah bon ? Aah, c'est pour cette raison que je l'ai vu rentrer au petit matin ? J'ai naïvement pensé qu'il avait passé la nuit dehors...

- Le commandant est un homme respectable, il n'irait jamais passer la nuit dehors !

« Oui bon, il faut péter un peu aussi, il a bien le droit d'aller s'amuser de temps en temps... »

- Et quel différend a-t-il dû régler ?

Il grimaça avec mauvaise humeur.

- Je ne veux pas choquer tes chastes oreilles, dit-il le plus sérieusement du monde.

Megumi ne sut comment elle parvint à se retenir de rire tant elle ne s'attendait pas à cela.

- Essaye toujours. Tu en as déjà trop dit, s'amusa-t-elle.

Il soupira et chercha ses mots pendant un instant :

- Il a brisé un mariage... marmonna-t-il à contrecœur. Une femme mariée a décidé de quitter son époux par sa faute. Le commandant a tenté d'arranger cela mais il n'y a rien à faire... Elle est déterminée. Il est pourtant difficile, voire impossible de briser les liens du mariage. J'ignore comment cette histoire va se finir. Quelle folie...

Impossible ? Les divorces étaient-ils donc interdits à Aldagarya ?

Elle aurait voulu en savoir davantage mais elle n'osait pas parler.

Si elle avait le malheur de prononcer le moindre son, il comprendrait tout de suite à quel point elle était bouleversée.

Elle savait qu'il enchaînait les conquêtes, ce n'était plus un secret, mais pourquoi cette femme désirait quitter son mari à ce point ?

Que lui avait-il promis ?

On ne quittait pas son mari après avoir passé une nuit avec un autre.

Non. Ils avaient dû se voir plus d'une fois...

Il lui avait pourtant dit qu'il avait pour habitude de ne pas coucher deux fois avec la même femme.

Elle s'était même sentie un peu spéciale en pensant être la seule avec qui il voulait retenter l'expérience...

Était-ce donc un mensonge de plus ?

L'avait-il vue plusieurs fois ?

Ou pire encore, avaient-ils eu un véritable coup de foudre mutuel ? Ce qui expliquerait la décision radicale de cette femme ?

Peut-être lui avait-il demandé de quitter son mari pour lui...

Cette idée lui donna le vertige… Elle serra les dents pour ne pas vomir.

- Megumi...

Une main caressante passa sur sa joue et elle sortit vivement de ses pensées avant de lever un regard surpris vers le visage inquiet du vice-commandant.

- Pardonne-moi, je n'aurais pas dû t'en parler...

- Non, non, je... c'est juste... bégaya-t-elle. Que je suis un peu indignée. Je ne pensais pas qu'il irait jusqu'à briser un mariage...

Il hocha tristement la tête.

- Hayate est ainsi... dit-il simplement. N'y pense plus à présent. Je n'aurais pas dû t'en parler.

Il glissa une mèche de cheveux derrière son oreille. Ses doigts froids frôlèrent sa nuque et elle tressaillit en sentant un frisson lui traverser le dos.

- Tu devrais t'attacher les cheveux, murmura-t-il. Ils ont l'air de te gêner...

Elle sourit, les joues rouges.

- Je n'y avais pas pensé...

Il fouilla sa besace d'une main et en sortit une élégante ficelle bleu nuit.

- Puis-je ?

- Bien sûr, merci, s'amusa-t-elle en se redressant pour lui tourner le dos.

Il se positionna derrière elle et commença à rassembler ses cheveux avec douceur sur le haut de son crâne.

L'histoire de la dernière aventure d'Hayate raisonnait encore dans son esprit et elle culpabilisa en réalisant à quel point cela lui faisait du mal.

Le simple fait d'imaginer Hayate annoncer son mariage avec cette villageoise lui donnait de violentes crampes à l'estomac.

C'était bien plus douloureux de le savoir amoureux, plutôt que de l'imaginer nu dans les bras de cent femmes.

« Mais c'est une bonne nouvelle au contraire ! » lui rappela sa raison.

« Il te laissera enfin tranquille ! Ses dernières menaces tomberont aux oubliettes ! Et tu pourras vivre pleinement ta relation avec Eisuke sans craindre qu'il ne fiche tout par terre... »

C'était vrai. Cela arrangerait grandement ses soucis.

Mais alors pourquoi son cœur était-il si lourd ?

- Ah, vous êtes là !

Megumi tressaillit et leva les yeux vers les deux hommes qui s'avançaient à leur rencontre.

Il s'agissait de Daisuke... et d'Hayate !

Elle sentit une poigne de fer se refermer sur son cœur, et elle baissa vivement les yeux pour éviter de croiser son regard.

- Dis donc, vous avez l'air vachement proches en ce moment, vous deux ! S'étonna Daisuke en riant.

- Il... Il ne fait que m'attacher les cheveux... balbutia-t-elle en rougissant comme une tomate.

Eisuke gardait une expression neutre, mais il était intérieurement si gêné qu'il faisait le nœud du mauvais côté de la ficelle. Il dut donc tout recommencer et rassembler de nouveau ses cheveux.

- Je te cherchais Eisuke, je suis désolé de t'embêter de bon matin, mais on a besoin de toi, fit Daisuke en se grattant la tête d'un air embarrassé.

Megumi leva les yeux vers le capitaine, mais son regard croisa accidentellement celui d'Hayate.

Elle le détourna rapidement par réflexe, avant de revenir vers lui, les sourcils froncés. Une lueur malfaisante brillait au creux de son regard amusé et moqueur...

Que lui arrivait-il ? N'avait-il donc pas passé une merveilleuse nuit auprès de la « femme de sa vie » ? Pourquoi n’était-il pas de meilleure humeur ? Pourquoi la regardait-il avec tant de malveillance ?

Hayate laissa échapper un léger rire moqueur. Elle le fusilla du regard et détourna la tête tandis qu'Eisuke terminait enfin de lui nouer les cheveux.

- Je n'ai pas trop serré ? S'enquit-il.

- Ah euh... Non, c'est parfait. Merci, murmura-t-elle, en rougissant.

- Bien, je termine ici, et je vous rejoins le plus rapidement possible, annonça Eisuke.

- D'accord, merci ! Fit Daisuke, visiblement soulagé.

Megumi réalisa soudain qu'elle avait été tellement absorbée par le regard mauvais d'Hayate qu'elle n'avait pas écouté leur discussion.

- Ah, tête brûlée ! Je ne sais pas si tu es au courant, mais Kyosuke n'est pas là aujourd'hui.

- Ah, si, il m'a prévenue. Il m'a dit que tu allais le remplacer ! Je suis contente ! Tu m'apprendras à manier les armes ?

- Non, ne sois pas si pressée, s'amusa-t-il. Il t'a laissé manier une arme en bois le premier jour pour te motiver, mais avant de savoir te battre avec une arme, tu dois d'abord apprendre à te battre tout court.

Elle soupira de lassitude.

- Ce que vous êtes barbants... marmonna-t-elle tandis qu'il riait en commençant à s'éloigner.

- Allez, on se voit tout à l'heure, Megumi ! Eisuke, nous t'attendons dans la salle principale !

- Bien, dit-il en se remettant à l'ouvrage, le visage inexpressif.

Daisuke leur fit un dernier signe de la main, avant de repartir, suivi de près par Hayate qui fixait Megumi du coin de l'œil, avec un regard insistant et hostile.

La jeune femme sentit la pression monter et son cœur manquer un battement lorsqu'un sourire mauvais et démoniaque étira ses lèvres.

On va bien se marrer, Megu chan... 

Elle déglutit et s'efforça de l'affronter du regard, malgré la peur et l'angoisse qui lui étreignaient le cœur.

Hayate émit un bref rire arrogant et supérieur avant de disparaître enfin à l'intérieur de la demeure, sans un mot...

Megumi réalisa soudainement qu'elle avait arrêté de respirer. Elle relâcha l'air contenu dans ses poumons avec soulagement et se tourna vivement vers Eisuke. Celui-ci fixait la porte derrière laquelle Hayate avait disparu.

Il restait calme, mais son regard était hostile...

- Laisse-tomber, lui dit-elle avec lassitude. C'est juste de la provocation, il doit s'ennuyer...

Il fixa la porte pendant encore un instant, avant de se remettre à l'ouvrage, le visage figé de colère.

- Euh... Je n'ai pas vraiment écouté Daisuke. Tout va bien ? Demanda-t-elle.

- Oui, marmonna-t-il doucement, il souhaite juste que je les accompagne pour tenter d'arranger cette histoire de séparation. Hayate est censé venir aussi, afin de présenter ses excuses mais je doute qu'il le fasse...

Elle pouffa d'un rire sans joie.

- Non, il ne le fera pas, confirma-t-elle.

Pourquoi avait-il donc docilement accepté de les accompagner dans ce cas ?

Avait-il décidé d'assumer ? Cette relation n'était donc pas un simple coup d'un soir ?

Des centaines de questions se succédaient en elle. Megumi aurait voulu chasser toutes ces idées toxiques de son esprit mais c'était plus fort qu'elle.

L'idée qu'Hayate soit tombé amoureux lui était insupportable...

« Pardon Eisuke... »

« Tu es l'homme parfait. C'est avec toi que je veux être. »

« C'est à toi que je veux tout donner... »

« Mais cette rage... Pour le moment, je n'arrive pas à m'en défaire. »

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