top of page

Akai ito
livre 1

couverture - Copie_edited.jpg

Chapitre 12

- Bonjour, bien dormi ? Fit joyeusement Daisuke en pénétrant dans la chambre de Megumi

La jeune lycéenne, qui s'était levée dans le but de faire quelques pas dehors, venait à peine d'ouvrir la porte donnant sur le couloir extérieur.

« Zut... »

- Tiens ? Que fais-tu debout ? Il te reste encore une journée, lui rappela-t-il.

- Oui, mais... balbutia-t-elle, mal à l'aise. J'avais besoin de marcher un peu... je vais devenir folle si je reste enfermée ici encore toute une journée...

Daisuke sourit et soupira en hochant la tête, l'air compréhensif.

- Je vois, s'amusa-t-il. Très bien, allons-y dans ce cas.

- Ah ?

« Je pensais qu'il me forcerait à me recoucher... »

Megumi, reconnaissante, était sur le point de le remercier lorsqu'elle remarqua soudain un tas de couvertures pliées débarquer par la porte intérieure de sa chambre, au-dessus de jambes agitées.

- Bordel, mais pourquoi c'est à moi de faire ça ?! Râla une voix qu'elle commençait à connaître.

Kenji déposa les couvertures avec un soupir épuisé, sous le regard amusé de Daisuke.

- Tu sais très bien pourquoi, pouffa-t-il. Bon, je vais l'accompagner dans les jardins, histoire qu'elle prenne un peu l'air, on te laisse t'occuper de sa couche.

« Ah ? Il est venu changer mes couvertures ? »

Le visage de Kenji était rouge de fureur tandis qu'il se mettait au travail, que Megumi se sentait tiraillée entre la pitié et l'amusement.

Néanmoins, elle tenta malgré tout de se montrer polie :

- Peut-être que je devrais tout de même l'aider avant...

- JE NE T'AI RIEN DEMANDÉ ! Explosa-t-il si soudainement que Megumi en sursauta de surprise. EST-CE QUE TU M'AS ENTENDU TE DEMANDER QUOI QUE CE SOIT ?! NON, ALORS DÉGAGE DE LÀ !

Ses yeux étaient si rouges de colère que Megumi sentit un fou rire monter en elle.

Pourquoi ce jeune homme était toujours si... extrême ?

Il ressemblait à une tomate folle prête à exploser.

Elle se mordilla les lèvres pour se contenir.

- QUOI ?? QU'EST-CE QUI TE FAIT MARRER ?! Cria-t-il, le visage défiguré par la rage.

C'était trop, elle se détourna en explosant de rire tandis que Daisuke se dressait entre eux pour retenir Kenji qui avait bondit vers elle.

- Allons, allons, calme-toi, s'amusa Daisuke avec indulgence.

- QUE JE ME CALME ?! CETTE PURITE SE FOUT DE MA GU... !

- Eh ! L'interrompit Daisuke en plaquant brutalement sa main contre sa bouche.

Le jeune homme tressaillit et leva des yeux surpris vers son aîné.

Daisuke ne riait plus du tout, il semblait même se retenir de le corriger à coups de poing.

Megumi cessa net de rire et les regarda à tour de rôle sans comprendre.

Pourquoi l'atmosphère avait-elle brusquement changée ?

- C'est la dernière fois que je t’entends l’insulter de cette manière... fit Daisuke d'une voix grondante et sévère. Est-ce clair ? Je ne veux plus entendre ce mot grossier sortir de ta bouche !

Le jeune homme détourna le regard d'un air gêné, comme un adolescent conscient de sa bêtise mais trop fier pour l'admettre.

« De quel mot parle-t-il ? Je ne suis pas sûre d'avoir saisi... »

- Tu m'as bien compris, Kenji ?

- Ouais, c'est bon, ça va... râla-t-il en se dégageant de sa poigne.

Il se remit au travail à contrecœur, sous le regard incertain de Megumi.

- Bien, allons-y, fit Daisuke en se tournant vers la jeune fille.

Il avait retrouvé son expression douce, comme s'il avait déjà oublié le dérapage de Kenji.

- Euh... d'accord, dit-elle en continuant de regarder vers Kenji sans comprendre.

Une fois dehors, Megumi prit une inspiration avec un grand soulagement.

Elle n'avait pas réalisé à quel point sa chambre sentait le renfermé, lorsqu'elle ne prenait pas le temps d'aérer chaque jour.

- Comment te sens-tu ? Veux-tu t'asseoir ici ou marcher un peu ? Demanda soudain Daisuke.

- J'aimerais marcher dans les jardins, dit-elle. J'aime beaucoup contempler les fleurs, le long de l'allée.

- Ah, tu partages la même passion que notre vice-commandant ? S'enquit Daisuke en l'invitant à s'avancer.

- Pas tout à fait, j'aime beaucoup les plantes en général, j'ai toujours su m'en occuper correctement... par contre, je ne suis pas très douée pour faire pousser les fleurs et les garder belles.

Megumi se souvenait de ses tentatives ratées, alors qu'elle avait eu pour projet de faire de sa terrasse un véritable paradis fleuri...

- Alors je suis très admirative du travail du vice-commandant.

Bien qu'elle ait beaucoup de mal à imaginer un homme si froid et taciturne créer un jardin pareil.

- Ha ha, c'est vrai qu'il a un véritable talent, je pense qu'il tiendra une boutique de fleurs un jour, si l'Unique lui permet de vivre vieux, fit Daisuke en l'aidant à descendre les quelques marches qui les séparaient du jardin.

- Ha ha, bof, je ne pense pas que sa boutique attirerait les foules, s'amusa-t-elle.

- Pourquoi donc ?

- Parce qu'il ferait fuir les clients ! Ricana-t-elle. Avec son regard de glace et ses sourcils froncés en permanence ! Personnellement, je suis déjà certaine que je ne ferais jamais partie de sa clientèle régulière, ha ha ha !

Daisuke pouffa de rire et reprit vite son air sérieux en tournant vivement les talons.

- Ah, bonjour commandant ! Bonjour vice-commandant ! Dit-il en inclinant vivement la tête.

- Pff, c'est ça, oui, pouffa-t-elle en pensant que Daisuke lui faisait une blague.

- Bonjour, Daisuke. Bonjour Megumi, fit la voix hésitante du commandant derrière elle.

La jeune femme se figea sur place et se tourna si vivement vers Eisuke et Akihoshi qu'elle en eu le tournis.

« Mince, mince, mince... il m'a entendue ? »

Le visage amusé d'Akihoshi et le regard dur braqué sur elle, répondirent à sa question.

« Bon sang... Deux fois que je gaffe devant lui ! » paniqua-t-elle en baissant vivement les yeux.

« Je suis maudite ou quoi ? »

- B... Bonjour... bégaya-t-elle.

- Tu as décidé de quitter ta couche ? Est-ce bien raisonnable ? S'inquiéta Akihoshi.

- Je... Je me sentais mieux ce matin, et... Daisuke m'accompagne. J'y retournerai d'ici quelques minutes...

- Mmh, il est vrai que tu as meilleure mine... Ah, as-tu commencé les livres que je t'ai apporté ? s'enquit-il soudain avec entrain.

Megumi rougit aussitôt comme une tomate pivoine.

- Euh, non... Pas encore...

- Ah ? Dommage, je voulais connaître tes théories concernant la véritable identité du héros de l'ouvrage que je t'ai conseillé, s'amusa-t-il, fais-moi signe lorsque tu le commenceras.

De plus en plus mal à l'aise, Megumi bascula d'un pied à l'autre en lui souriant.

- Bien sûr... Je n'y manquerai pas.

Le commandant allait ajouter quelques mots lorsqu'il remarqua soudain l'air renfrogné d'Eisuke.

- Ah oui, j'avais presque oublié, nous sommes attendus, fit soudain Akihoshi. Daisuke, je te confie la petite et le domaine, nous avons une affaire urgente à régler à l'extérieur.

Megumi tiqua sur « la petite » mais préféra s'abstenir de protester. L’ambiance était déjà un peu tendue.

- C'est au sujet du messager ? S'enquit Daisuke.

- Oui, répondit-il avec un soupir, le fils d'Akiyama est venu me rencontrer, mais je ne veux pas que notre entrevue ait lieu dans l'enceinte du domaine, alors...

Eisuke se racla soudain la gorge pour les interrompre, le regard glacial, et Megumi comprit aussitôt son message muet :

« Pas devant elle »

« Pas devant la potentielle espionne »

Elle fit mine de n'avoir rien remarqué tandis qu'Akihoshi replaçait correctement son col, l'air mal à l'aise.

- Enfin bref, nous en reparlerons plus tard... Nous partons. À ce soir, conclut Akihoshi.

Megumi les regarda s'éloigner avec un profond soulagement.

Elle supportait de moins en moins la présence oppressante d'Eisuke.

- Pour le coup, ce n’était vraiment pas de chance, s'amusa Daisuke une fois qu'ils furent suffisamment loin, le vice-commandant est arrivé au plus mauvais moment...

Megumi grimaça en portant machinalement la main à son bandage.

- Mmh... Je n'ai jamais de chance avec lui.

Il rit doucement avant de l'inviter à reprendre la marche.

- Ne t'inquiète pas, il n'est pas du genre rancunier, il oubliera vite.

Elle haussa les épaules.

- De toute façon, ça n'a aucune importance. Il ne m'adresse jamais la parole, alors...

Daisuke sourit doucement.

- Il est méfiant de nature. Il l'a été avec chacun d'entre nous, alors ne t'inquiète pas. Il n'a rien contre toi.

- Mmh... De toute façon, je partirai bientôt, alors il n'aura plus à se méfier de moi...

Daisuke hocha la tête sans répondre et un silence s'écoula tandis qu'ils traversaient le chemin fleuri d'Eisuke.

C'était un lieu calme et enchanté qui intimait le silence.

Megumi osait à peine respirer lorsqu'elle le traversait...

- Au fait, fit doucement Daisuke, la sortant soudain de sa bulle, tu n'es pas obligée de lire les livres du commandant, tu sais...

Elle sursauta et le regarda d'un air étonné.

- Oui... je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer ton embarras.

Megumi baissa les yeux et soupira en espérant que le jeune capitaine avait été le seul à remarquer son trouble.

- Ce n'est pas ça... C'est juste que...

Elle hésita avant d'oser lui avouer ce qu'elle portait en elle depuis quelques jours :

- Je lui ai dit... par erreur, que je savais lire...

Il la regarda en silence avant de continuer pour elle :

- Mais... tu ne sais pas lire.

Elle se mordilla la lèvre en hochant la tête.

- En vérité, je sais lire... mais pas votre alphabet... avoua-t-elle à mi-mot.

Daisuke haussa les sourcils et Megumi regretta aussitôt son honnêteté.

Elle aurait dû se contenter de lui dire qu'elle ne savait pas lire...

Pourquoi tout compliquer avec des détails ?

Heureusement pour elle, Daisuke n'était pas le genre inquisiteur et respectait ses secrets.

- Je suppose... que cela fait partie des mystères de ton passé dont tu ne peux rien me révéler... ?

Elle grimaça et hocha la tête, embarrassée.

Un long silence s'écoula.

- Je vois... comprit-il. Dans ce cas, je peux t'apprendre, si tu veux.

Surprise, elle le regarda en haussant les sourcils.

- Hein ?

- Oui, tu pars bientôt mais je pourrais au moins t'enseigner les bases. Cela pourrait t'être utile, lorsque tu reprendras la route.

Megumi prit un instant pour y réfléchir, et songea qu'il avait raison. Comment pourrait-elle s'y retrouver en voyageant dans un monde inconnu dont elle ne saurait lire ni la carte ni les panneaux ?

- C'est vraiment gentil à vous, capitaine. J'accepte avec plaisir...

Il sourit en secouant la main.

- Je t'en prie, appelle-moi juste Daisuke, et tu peux me tutoyer, lui dit-il gentiment.

Son sourire était si bienveillant qu'il lui rappela celui d'Akihoshi pendant un bref instant.

- Très bien, alors, je te remercie Daisuke San... On commence quand ?

Il la regarda d’un air un peu intrigué avant de rapidement reprendre son expression habituelle.

- Après le déjeuner, si tu veux, proposa-t-il, j'ai quelques petites choses à régler avant.

- Bien sûr... ça concerne le départ du commandant ? Enfin, son entrevue ?

Il posa sur elle, un regard amusé.

- Ne t'avise pas de poser ce genre de question devant Eisuke ou Kenji, lui dit-il en riant doucement. Ils se diraient aussitôt que tu cherches à obtenir des informations pour les Aokitsu.

- Les Aokitsu ? Qu'est-ce que c'est ?

Il la regarda aussitôt d'un air surpris, comme s'il était absolument impossible qu'elle n'ait jamais entendu ce nom, mais il comprit rapidement à son regard perdu qu'elle ne mentait pas.

- Il s'agit du nom que nous donnons aux rebelles... lui répondit-il enfin, ceux qui ont refusé de reconnaître le Roi Sando comme leur souverain légitime.

Megumi fronça les sourcils et se souvint soudain de la scène de guerre à laquelle elle avait assistée en arrivant dans ce monde.

Elle se souvint également de ce jeune garçon, criant haut et fort en l'honneur du prince héritier...

Elle avait vraiment l'impression d'être tombée en plein dans une série Heroic-fantasy.

- C'est... réfléchit-elle à voix haute. Le Roi Sando n'était pas censé être roi... n'est-ce-pas ?

Daisuke eut l'air mal à l'aise et sembla hésiter à continuer cette conversation pendant un instant.

Il jeta un regard autour de lui avant de s'approcher d'elle, le regard perdu et un peu agité à la fois.

- Tu ne sais vraiment... rien ? Demanda-t-il à voix basse.

Elle secoua la tête en retenant son souffle et un long silence s'écoula, tandis que le capitaine hésitait visiblement encore...

Puis, elle vit la lueur d'hésitation s’effacer dans son regard.

- Notre Roi est mort, il y a peu... dit-il doucement comme s'il craignait encore d'être entendu, un terrible incendie, d'après les rapports, et... ses enfants n'ont pas survécu non plus... Donc c'est son frère jumeau, Sando qui a récupéré le trône et le pouvoir.

Il se gratta la nuque, le regard perdu dans le vague.

Megumi ne comprenait pas bien, mais elle décelait beaucoup de doutes sur son visage.

- Pourquoi les rebelles réclament-ils donc le retour du prince héritier ? S'enquit-elle. Puisqu'il est mort...

Le regard de Daisuke se voilait davantage.

- Je ne sais pas si ces rumeurs sont vraies mais... Il paraît qu'il aurait été aperçu à la frontière maritime, la nuit de la catastrophe, en compagnie d'un membre de la garde royale... Depuis, Aldagarya n'est plus que confusion...

Daisuke se gratta la tête et reprit la marche, l'air pensif, Megumi sur ses pas.

Un silence s'écoula, et la jeune fille prit le temps de rassembler les informations avant de reprendre :

- Et... quel genre de roi est Sando ? Je veux dire, est-il un homme bon ? Un homme qui prend soin de ses sujets ?

Il inclina la tête sur le côté, comme s'il n'osait pas lui répondre et Megumi eut un étrange pressentiment.

Elle ignorait qui était ce Sando, pourtant, son intuition lui soufflait de se méfier de lui.

- Je... Je ne voudrais pas le juger, ou l'accuser, car je ne connais pas personnellement cet homme, dit-elle, mais... tout ceci me rappelle beaucoup une histoire...

- Laquelle ? S'enquit-il.

C'était surtout un dessin animé de son enfance, très populaire dans son monde...

- C'est à propos d'un... animal. Un animal majestueux, qui régnait sur ses terres, et qui était jalousé par son frère cadet. Il voulait tout ce que possédait son frère, alors... il l'a tué, et a même tenté d'éliminer son neveu, l'héritier au trône. Mais, heureusement, le petit a survécu et s'est échappé...

Megumi sentit comme un vent de nostalgie lui caresser la poitrine tandis qu’elle lui narrait l’histoire de l’un de ses films d’animation préféré.

Daisuke l'écoutait avec un mélange d'intérêt et de surprise.

- Qu'est devenu l'héritier ? Demanda-t-il.

- À la fin, sourit-elle, il revient à l'âge adulte et récupère le trône de son père par la force.

Daisuke hocha la tête avec un petit sourire, comme s'il s’en était douté.

- Avec une guerre... souffla-t-il comme pour lui-même.

Megumi revit en pensée la bataille des hyènes contre les lionnes et hocha la tête.

- Oui... avec une guerre, confirma-t-elle.

Daisuke resta plongé dans ses pensées pendant quelques temps avant de briser le silence.

- Tu sais que... tu pourrais perdre la vie si tu parlais ouvertement de ton hypothèse, lui dit-il d'une voix calme.

- Oui, je suppose... mais c'est ce que je pense. Je ne connais pas les détails mais...Je trouve cette histoire d'incendie tout de même très étrange, pas toi ? Plus j'y pense, plus la vérité me paraît évidente.

Elle vit dans son regard que penser à cette possibilité était déjà une trahison envers le trône, alors elle préféra ne pas insister.

Daisuke soupira, puis il lui sourit gentiment avant de lui caresser la tête en évitant sa blessure.

Ce geste chaleureux la surprit tellement qu'elle ne put s'empêcher d'en rougir.

Il approcha ensuite légèrement sa tête de la sienne avant de lui chuchoter à l'oreille :

- Ne révèle tes suppositions à personne d'autre... Qui que soit ton interlocuteur. Tu m'as compris ?

Il se redressa pour la regarder dans les yeux et s'assurer que le message était bien passé.

La jeune lycéenne, surprise, hocha timidement la tête, sans trop comprendre son inquiétude, puis il la relâcha avec douceur.

- Et si on rentrait ? Le petit déjeuner doit être prêt à présent, dit-il avec entrain.

- Ah, bonne idée, soupira-t-elle, j'ai une faim de loup.

- Une faim de quoi ? S'enquit-il, interrogateur.

La jeune fille marqua un temps d'arrêt avant de se reprendre :

- Oui enfin... J'ai très faim, quoi...

 

 

 

* * *

 

 

Pour la première fois depuis son arrivée au domaine, Megumi avait déjeuné en compagnie de Daisuke dans la cuisine, et non, cloitrée entre les quatre murs de sa petite chambre.

Elle commençait à s'acclimater aux lieux et avait cessé de sursauter à chaque grincement de la maison.

Elle avait même cessé d'être incommodée par cette constante odeur d'encens.

- As-tu encore faim ?

- Non, merci, je suis rassasiée, lui dit-elle avec un sourire. Puis-je nettoyer ?

- Pas question, s'amusa-t-il en débarrassant pour la devancer, tu es notre invitée et blessée de surcroît, alors contente-toi de te reposer.

- Mais je ne fais que ça... Me reposer, soupira-t-elle en s'accoudant à la table.

« Dans ma vie d'avant, mon emploi du temps était si surchargé que j'avais à peine le temps de penser ».

« Et je me retrouve d'un coup à passer mes journées à ne rien faire, c'est lassant... »

La jeune lycéenne leva les yeux vers le large dos de Daisuke qui s'attelait à nettoyer leur vaisselle, en manipulant une sorte de manivelle pour remplir le bac d’eau.

« J’oubliais... Ils ne connaissent ni le robinet, ni le liquide-vaisselle ici, se dit-elle amusée. Heureusement qu'il a refusé mon aide, je n'aurais pas su faire fonctionner cet engin... »

- Terminé, dit-il quelques instants plus tard en s'essuyant les mains, Je te raccompagne.

- Ah... Dois-je vraiment retourner dans ma chambre ? Soupira-t-elle avec ennui.

Il sembla un peu surpris.

- Eh bien, le docteur nous a dit, six jours de repos, pas cinq, lui rappela-t-il en souriant.

Elle grimaça.

- Je ne peux vraiment pas... profiter encore du beau temps ? Il fait si beau aujourd'hui...

Il sourit et leva les yeux vers la fenêtre, avec hésitation.

- Mais je vais être occupé, cet après-midi.

- Je ne me ferai pas remarquer, négocia-t-elle, je veux juste rester un peu dehors, pour une fois...

Elle ne se connaissait pas si capricieuse, mais elle ne supportait plus de rester enfermer dans sa chambre, sans internet ou Noutouflix pour faire passer le temps.

- Bon, très bien, céda-t-il, mais je te fais confiance. Contente-toi de profiter du soleil et de rester au calme !

- Ah, merci Daisuke San ! S'enthousiasma-t-elle en riant. Oui, promis, je ne ferai pas de bêtises.

Il lui jeta un regard rieur tandis qu’elle s'avançait vers l'extérieur de la maison.

- Megumi ? l’interpella-t-il.

- Oui ? Dit-elle en s’arrêtant au niveau du seuil.

Il lui sourit en fronçant les yeux d’un air inquisiteur.

- Pourquoi m’appelles-tu « Daisuke San » ?

Megumi marqua un temps d’arrêt et le regarda en clignant bêtement des yeux.

- Bah… Parce que c’est plus poli, non ? Dit-elle hésitante.

- Poli ? dit-il, intrigué. « San » ?

- Oui, c’est… Comme « kun », non ? C’est un suffixe honorifique…

Il fronça davantage des sourcils et Megumi se sentit doublement perdue.

« Je ne suis pas folle, ils utilisent bien les mêmes suffixes que dans mon monde, non ? Hayate m’appelle « Megu chan », et je l’ai entendu dire « Eisuke kun », une ou deux fois... »

- Euh, non, Megumi… Lorsque l’on ajoute « san » derrière un prénom, c’est même assez insultant… lui dit-il amusé.

- Hein ? Insultant ?!

- Bien sûr… On l’ajoute au prénom en général pour rabaisser son interlocuteur. C’est également utilisé pour les esclaves.

- Sérieux ? Sursauta-t-elle en levant la main vers sa bouche. Oh, je… Je suis désolée !

Elle était rouge comme une tomate, elle ne savait plus où se mettre.

Heureusement que Daisuke lui en avait immédiatement parlé.

« Si j’avais appelé le vice-commandant comme ça, j’aurais perdu ma tête ! »

- Et « Kun » ? Bégaya-t-elle. Et « Chan » ?

- « Kun » est rarement utilisé, lui répondit-il en la regardant d’un air toujours aussi intrigué. On l’ajoute pour parler à une personne que nous respectons, comme un chef par exemple, mais il peut également être utilisé pour se moquer de quelqu’un. Cela dépend du contexte et du ton employé.

Elle comprit rapidement où il voulait en venir lorsqu’elle revit en pensée, Hayate marmonner « Eisuke-kun » d’un air moqueur.

« Bon … Ok, donc ici, il vaut mieux oublier le « San », récapitula-t-elle intérieurement, et le « Kun » n’est pas nécessaire... »

- Quant au « Chan », il est également rarement utilisé, en raison de sa signification très forte, continua-t-il. C’est un suffixe que l’on ajoute après le prénom de l’être aimé, mais aussi après ceux des amis très proches, ou des enfants.

- Je… vois, réfléchit-elle.

« Ah, ok, pour le coup, c’est comme dans mon monde, mais il reste rare »

Pour conclure, elle allait devoir oublier les suffixes durant son séjour à Aldagarya.

« Et je vais aussi devoir m’habituer à entendre mon prénom à tout bout de champs... » se dit-elle mal à l’aise.

En effet, au Japon, à part la famille et les amis proches, seuls les noms de familles étaient utilisés.

- D’autres questions ? s’enquit Daisuke avec un sourire.

Elle leva les yeux vers lui et rougit en secouant la tête.

- Non, je crois, dit-elle en souriant, le regard fuyant. Je te remercie beaucoup, Daisuke…

« Merci surtout de ne pas me harceler de questions alors que je suis si étrange » ajouta-t-elle intérieurement en inclinant la tête devant lui.

Il sourit en la fixant d’un air scrutateur, et la suivit des yeux alors qu’elle quittait enfin la maison.

Il était vraiment difficile de ne pas se mélanger les pinceaux.

« Dans mon monde, « San » est utilisé pour les personnes que l’on respecte, et « Kun » pour les amis et les camarades ».

« Bon, je vais simplement les oublier tant que je vivrai ici et tout devrait bien se passer », se dit-elle en se retrouvant enfin sous ce merveilleux ciel bleu.

Aussitôt, un soleil dévorant glissa sur elle, réchauffant sa peau, alors elle cessa le pas afin de mieux savourer cette sensation.

Certes, elle avait survécu à un ennui mortel durant ces derniers jours, mais elle se sentait bien. Elle se sentait reposée. C’était comme si elle n'avait pas pris le temps de souffler depuis des années.

Dans son monde, tout allait toujours trop vite, tout était bruyant, et son emploi du temps était toujours surchargé.

« Profitons-en car dans quelques jours, je partirai, je retrouverai cette bille et tout redeviendra normal »

La jeune femme n'avait aucun doute, sa vie n'était pas ici. Sa présence en ces lieux était même illogique.

Elle allait rentrer chez elle. Elle allait réussir !

Cela ne pouvait se passer autrement.

« Alors, d'ici là... »

Elle emplit ses poumons de cet air frais et pur, dénué de toute pollution, puis elle s'avança à travers le jardin. Un souffle frais passa comme un soupir tandis qu'elle longeait l'allée de fleurs aux nuances bleues, dont elle ignorait le nom. Megumi s'apprêtait à s'étendre sur l'étendue d'herbe au bout du chemin, lorsqu'elle entendit soudain des éclats de voix non loin d'elle.

Curieuse, elle continua sa route et se rapprocha de la plaine qu'utilisaient les soldats pour s'entraîner.

Elle marqua aussitôt un temps d'arrêt, et se cacha derrière un buisson en voyant une trentaine d'hommes effectuer des mouvements au sabre, rythmés par les cris motivants de Kenji qui effectuait la même chorégraphie, comme si son corps et son esprit étaient liés à ceux des autres soldats.

Des gouttes de sueurs perlaient sur leurs fronts, leurs regards brillaient d'une brûlante détermination...

C'était un incroyable spectacle.

Megumi était presque envieuse en les voyant tous si classes et motivés.

Certes, elle était douée dans de nombreuses disciplines, mais jamais aucune n'avait éveillé une telle flamme en elle.

Un tel embrasement...

- Bonjour !

Megumi sursauta et se tourna vivement vers la voix de celui qui venait de la surprendre.

C'était un jeune homme qu'elle n'avait encore jamais vu de sa vie.

Il sursauta à son tour en roulant des yeux affolés.

- Oups, pardon, je ne voulais pas t'effrayer ! Je t'ai aperçue au loin alors... bégaya-t-il.

« Ah... Bon sang »

Elle secoua la tête et se gratta le front, mal à l'aise, en pouffant de rire.

- Non, c'est moi, pardon... J'ai tendance à sursauter un peu pour rien.

Il hocha la tête se mit à rire, alors elle en fit autant, sans trop savoir pourquoi.

- Tu es l'invitée du commandant, n'est-ce pas ? Tout le monde parle que de toi dans le domaine, depuis ton arrivée.

Elle se mit à rougir d'embarras.

- Ah bon ? Pour quelle raison ?

- Une fille dans l'enceinte de l'avant-poste Ilias... Je crois que c'est du jamais vu, tu sais ?

Il rit de nouveau et la jeune femme se sentit aussitôt touchée par cette lueur innocente qui brillait au fond de ses prunelles.

Contrairement à certains soldats du domaine, il arborait un visage doux et enfantin.

- Je m'appelle Aku Kinomo, se présenta-t-il en s'inclinant, je suis l'un des hommes du capitaine Daisuke.

- Ah enchantée, moi, c'est Megumi Minami, dit-elle en s'inclinant à son tour.

- Oui, je le sais, sourit-il.

Il leva les yeux vers les soldats avant de la regarder de nouveau.

- Tu as le droit de t'approcher, tu sais ?  Si tu veux voir l'entraînement de plus près.

- Euh... Hésita-t-elle en les regardant à son tour. C'est juste que... j'ai un peu peur de déranger.

- Mais pas du tout, voyons, quelle idée ! S'amusa-t-il, ils ne remarqueront même pas ton arrivée, viens...

Aku passa devant elle avec un sourire encourageant, alors elle se décida à le suivre, mais elle le regretta aussitôt en voyant les regards déterminés des soldats s'effacer au profil d'une expression curieuse.

La jeune lycéenne rentra sa tête dans ses épaules et baissa les yeux d'un air gêné, en réalisant que plus elle s'approchait, plus elle attirait l'attention des combattants...

- « Ils ne remarqueront même pas ton arrivée » ... marmonna-t-elle, gênée.

- Ha ha, c'est normal, tu es si mignonne, la flatta-t-il.

Megumi rougit comme une tomate, un peu surprise par ce compliment spontané.

- Voilà, assieds-toi là, l'invita-t-il en s'arrêtant devant des marches d'escaliers, face à la zone d'entraînement.

- Euh...Tu es sûr ? Marmonna-t-elle timidement, en s'installant un peu à contrecœur.

- Mais oui, tu seras beaucoup mieux ici que cachée derrière ton buisson ! S'amusa-t-il. Bon, je dois m'y mettre aussi, à plus tard.

Il s'éloigna avec un dernier signe de la main et Megumi eut l'impression d'être une brebis face à une meute de loups.

Les combattants n'étaient plus du tout concentrés et effectuaient machinalement les mouvements, en lui jetant des coups d'œil furtifs.

Aku lui fit un discret signe de la main au loin, et la jeune femme y répondit en grimaçant un sourire.

Il n'avait pas pensé à mal, elle en était certaine, mais à cet instant précis, elle regretta terriblement la sécurité de son buisson...

- Qu'est-ce que tu fous là ?

Megumi sortit net de ses pensées et tressaillit lorsqu'une silhouette fine et élancée se dressa soudain devant elle.

Kenji la toisait de sa hauteur avec mauvaise humeur, le souffle court, et le corps dégoulinant de sueur.

Et étrangement, Megumi se sentit presque soulagée de voir un visage familier. Ils ne s'entendaient pas du tout, certes, mais le jeune homme avait passé la semaine à s'occuper d'elle durant sa convalescence, alors il était devenu en quelque sorte, une présence « rassurante ».

- Eh, je t'ai posé une question, qu'est-ce que tu fiches là ? s'impatienta-t-il.

- Ça se voit, non, soupira-t-elle, je vous espionne, et je ferai ensuite un rapport détaillé aux Oakiki !

- C'est Aokitsu, crétine ! marmonna Kenji tandis qu'un éclat de rire retentissait soudain dans le dos de Megumi.

Un rire qu'elle connaissait bien...

Elle frissonna et jeta un rapide regard en coin vers Hayate qui descendait les marches, avant de se retrouver non loin devant elle.

« Purée... mais qu'est-ce qui m'a pris de sortir de ce buisson ?! »

« Ça m'apprendra à me montrer curieuse ».

- Bref, ne reste pas là et retourne dans ta chambre, râla Kenji en tournant les talons, c'est pas un endroit pour une fille ! Et tu déconcentres mes hommes !

Hayate le regarda s'éloigner en pouffant de rire, tandis que Megumi toisait le responsable de ses tourments du coin de l'œil.

Ils ne s'étaient pas reparlés depuis l'incident dans sa chambre, alors elle ignorait comment se comporter...

« Tu sais comment on appelle les filles comme toi ?... Des allumeuses »

Elle en tremblait encore de honte et de colère.

La jeune femme se leva d'un bond et se dirigea vers les jardins afin de s'éloigner de la zone d'entraînement... et surtout de ce sale type qui aimait beaucoup trop la tourmenter.

- Ah ? Megu chan ? Où vas-tu comme ça ? S'enquit-il dans son dos.

« Loin de toi ! » se retint-elle de lui crier.

- Megu chan, chantonna-t-il.

« Purée, mais arrête de m’appeler comme ça ! » s’énerva-t-elle intérieurement en rougissant.

Le « Megu » et le « Chan » ensemble…

Cela faisait beaucoup trop intime ! Elle n’allait jamais s’y faire !

Ce ne fut qu'en arrivant au niveau des jardins qu'elle réalisa qu'Hayate était en train de la suivre.

« Non mais je rêve, c'est une blague ? »

- Megu chan, je te parle...

- Laisse-moi tranquille !

Elle accéléra le pas, en espérant qu'il allait abandonner, mais il n'en fit rien, et pour couronner le tout, il riait derrière elle !

Cette situation était en train de l'amuser !

« Sérieusement ?! ».

Elle se tourna vivement vers lui en bouillonnant de rage.

Il cessa net le pas et Megumi sentit un nœud se former dans son estomac, lorsque la vision de son sourire amusé lui arracha un morceau de son cœur.

Pourquoi ?

Pourquoi la troublait-il à ce point ? Elle se sentait pitoyable...

- Je peux savoir ce qui te fait rire ? Siffla-t-elle entre ses dents.

- Mais toi, Megu chan, se justifia-t-il en riant, c'est toi qui me fais rire. Tu m'expliques un peu ce qui t'arrive ?

Il ne prenait visiblement pas du tout sa colère au sérieux.

Megumi ne sut comment elle parvint à trouver la force de ne pas le gifler pour effacer cet insupportable sourire malicieux de son visage...

- Tu sais très bien ce qui m'arrive ! Ne fais pas celui qui a oublié !

Hayate la dévisagea pendant un instant, une lueur espiègle dans le regard, puis, il fit soudain mine de se souvenir.

Une expression exagérée qui exaspéra Megumi au plus au haut point.

- Allons Megu chan, ne me dis pas que tu l'as mal pris, je te taquinais...

Elle soupira avec agacement et tourna les talons pour repartir.

- Megu chan, attend ! S'amusa-t-il en la retenant soudain par le poignet. Allez, je m'excuse d'accord ? Je l’admets, j'y suis allé un peu fort, ce jour-là...

Elle posa de nouveau son regard colérique sur Hayate, qui s'obstinait à garder ce petit sourire provoquant.

- Comment veux-tu que je te croie avec un visage pareil ? S'énerva-t-elle.

- Ha ha, désolé, c'est nerveux, s'amusa-t-il.

- « Nerveux » ? le singea-t-elle.

Une imitation qui fit aussitôt rire le capitaine. Il s’esclaffa soudain comme s'il se contenait depuis le début de leur conversation.

« Comment veut-t-il que je croie en ses excuses dans ces conditions ? »

Elle le regarda en clignant des yeux, à bout de patience.

- Bon allez, se reprit enfin Hayate, la voix toujours rieuse. On fait la paix, d'accord ? Je sais comment me faire pardonner...

Megumi se mit aussitôt sur ses gardes et eut un mouvement de recul, mais Hayate resserra sa poigne en riant et la ramena à lui.

- Non, ce n'est pas ce que tu imagines, coquine... s'amusa-t-il.

- C'est quoi, alors ? S'étouffa-t-elle avec mauvaise humeur.

Il s'approcha doucement d'elle, et la proximité de leur corps manqua de lui couper le souffle.

Son cœur battait à tout rompre, elle redoutait qu'il ne remarque son trouble, pourtant, il lui était impossible de détourner son regard de ces deux pupilles émeraudes captivantes...

Il approcha son visage du sien et chuchota, de cette voix ensorcelante, qui plongeait toujours avec aisance son esprit dans le brouillard :

- Ça te dit... une petite virée à l'extérieur, ce soir ?

bottom of page